lundi, septembre 29, 2008

"Le droit de porter des armes"


Hier, débat à Vouvry, canton du Valais en présence de Pierre Lemieux, économiste et auteur canadien de nombreux ouvrages de référence sur le libéralisme. Son ouvrage éponyme du titre , édité en 1993 par les Belles Lettres est épuisé, mais c’est toujours une référence pour toux ceux qui , libertariens ou non, défendent ce droit. Je n’ai pas lu cet ouvrage, mais je me permet toutefois de me demander si Pierre Lemieux, défendrait aujourd’hui ce principe, indiscutable pour lui en 1993, de la même manière. Parce que d’abord le monde a beaucoup changé en 15 ans, mais aussi parce qu’avec 15 ans de plus et si on veut être honnête, on ne voit pas forcément les choses pareil.

Ce droit de porter une arme, pour le théoricien libéral est consubstantiel de l’identité de l’individu. Mais le tout est de savoir de quel individu l’on parle et de voir ce que peut apporter de pratique, en 2008, le fait de porter une arme.

Une arme pour se défendre.

Avoir en permanence sur soi un colt, c’est quelque chose de lourd. J’en sais quelque chose moi qui n’est déjà que mon portable et mon appareil photo dans mes poches, en plus d'un portefeuille. Et encore il faudrait l’avoir sur soi jour et nuit pour que, dans un pays comme la Suisse, puisque c'est ici que nous sommes, cela puisse avoir une chance sur plusieurs centaines de millions de permettre de s’en servir un jour pour se défendre. Avoir la simple possibilité légale de le faire, mais sans user de ce droit, représente-t-il un intérêt quelconque, sauf … lors d'un débat théorique. Par contre et avant d’aller plus loin dans la discussion je veux signaler que si d'aventures, mes activités professionnelles m’obligeaient à vaquer dans un pays comme l’ex-Rhodésie par exemple, j’aurais à coup sur une arme sur moi.

Donc et même si j’avais, en ce qui me concerne, une arme sur moi, ici en Suisse serait-elle un sauf-conduit pour sauver le cas échéant ma peau ? Trois anecdotes : d’abord celle de ceux qui aux USA se sont fait abattre, victimes du hasard, par un homme armé d’un fusil à lunette muni d’un silencieux et qui forfait fait, partait en voiture à quelques centaines de kilomètres plus loin pour encore frapper à l’aveuglette. Puis celle d’un jeune homme de 19 ans, survenue à Ste Maxime il y a plus de 20 ans : au milieu de la nuit un groupe de jeunes gens émêchés passe près d’une voiture garée le long du trottoir et dans laquelle un homme et une femme participent d’une discussion animée. Le jeune homme s’en mêle, à la fois par jeu et par forfanterie devant sa bande de copains. L’homme qui était un gangster et assurément macho se sent rabaissé devant la femme à coté de lui. Il sort son revolver et dans le même temps , abat d’une balle en pleine tête, le jeune homme près de sa portière. Enfin à Jérusalem il y a peu d’années, un homme fait irruption dans une classe d’une école rabbinique où se trouvent des jeunes de 15 à 18 ans. En raison de l’insécurité dans ce pays, certains des élèves sont armés. Mais devant la soudaineté de l’événement avant que l’un d’eux ne puisse réagir et l’abattre, ce sont plus d’une demi-douzaine d’entre eux qui sont tués. Avec ou sans armes, quelles chances avaient toutes ces victimes d’agressions gratuites ?

Se défendre contre son alter-ego ou contre un tyran ? Je pense que contre un tyran, il ne faut même pas y songer tant la lutte devient inégale. Bien sur, contre un tyran et avec une arme on peut envisager de faire une action d’éclat en y laissant sa peau, mais dans ce cas précis, il vaut alors  mieux ne pas avoir eu un quelconque droit de posséder une arme et de s’en procurer une, spécialement, pour la chose.

Individu ou "individu".

Dans la discussion, après la partie sur l’utilisation éventuelle de l’arme, le problème posé étant celle de sa détention légale par un individu, il me semble important de discuter de l’individu. Pierre Lemieux raconte l’anecdote d’un individu se rendant armé à un bureau de vote et qui subissait une fouille. Avec un certain réalisme il soutiendrait que ce serait plus à un individu qui assume la responsabilité d’être armé qu’à celui qui n’a pas d’arme que le vote devrait être réservé. Je ne vais pas, en ce qui me concerne, le contredire, car pour ma part et pour éviter une véritable dictature du pouvoir démocratique, je réserverais le droit de vote qui concerne le budget d’un Etat, aux seuls citoyens qui payent des impôts directs.

Il nous faut bien alors, dans cette discussion, déterminer de quel individu l’on parle. La première discussion que j’ai eu sur ce concept, ce fut avec un grand maître d’une obédience franc-maçonne lors d’un débat ouvert au public (car je ne fais partie d’aucune). Je l’interpellais sur le fait que ses prétentions à défendre l’individu ne me satisfaisait pas alors qu’il me semblait être un individu et que je me sentais concerné. Avec une certaine condescendance il m’a répliqué que ce que je pensais ne le concernait pas, lui ne s’occupant que de « l'individu » pris dans sa globalité, certainement collective. Cela m’a rappelé Coluche qui disait que « tout le monde était égaux, mais il devait y en avoir qui sont plus égaux que d’autres ». Ici, il doit donc falloir croire qu'il y a des individus qui sont plus « individus » que d’autres !

Dans ces conditions et pour la tranquillité publique, je finirais par avoir plus confiance dans une loi qui interdit de porter une arme, mais qui permet à un certain nombre, montrant « patte blanche » d’en détenir une s’il en est jugé capable dans son plein sens du terme. Et cela, plus qu’à permettre constitutionnellement à tous de le faire, en l’interdisant par contre aux mineurs, aux incapables, à ceux qui ont un casier judiciaire etc etc. Par pragmatisme.

Ancien officier de réserve, ancien membre de l’état-major de la protection civile départemental, chasseur, à coup sur, si j’en faisais la demande, je crois pouvoir m’en faire attribuer une. Mais est-ce pertinent au delà du poids dont nous avons parlé plus haut ? Je me demande si, à mon age et avec le peu d’entraînement actuel à ce sujet, cela ne serait pas, en fin de compte, une arme contre moi. La raison et la responsabilité qui font aussi parties de mon identité actuelle me persuadent du contraire. Et si par malheur ces lignes étaient prémonitoires d’avoir à mourir sous les balles d’un malveillant, je prend le risque, ici en Suisse, de le faire, tout autant que je traverse la rue, tout aussi dangereuse dans ces conditions.